FO38 | Article Dauphiné libéré du 27 juin 2024 : Assurance chômage : comment la réforme pourrait affecter les saisonniers
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- 27 juin 2024
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Les changements annoncés des conditions d’affiliation et de durée d’indemnisation du chômage ne seront pas sans conséquences pour les travailleurs saisonniers des Hautes-Alpes. Y compris pour ceux qui vivent toute l’année dans le département.
La nouvelle réforme de l’assurance chômage n’est pas sans inquiéter les travailleurs saisonniers.
La nouvelle réforme de l’assurance chômage passera-t-elle par décret d’ici la fin du mois ? C’est le souhait du Premier ministre Gabriel Attal, au grand dam d’une partie de sa majorité et des syndicats. Et, en pleine campagne pour les élections législatives anticipées, les 30 juin et 7 juillet prochains, le Nouveau front populaire puis le Rassemblement national ont annoncé leur intention d’abroger cette réforme en cas de majorité à l’Assemblée nationale. Celle-ci prévoit notamment un changement des conditions d’affiliation à partir du 1er décembre prochain. Pour avoir droit aux allocations-chômage, il faudra avoir travaillé huit mois sur les 20 derniers, contre six mois sur les 24 derniers actuellement. Autre modification attendue, celle de la durée d’indemnisation, qui passerait de 18 à 15 mois.
« Des changements préoccupants pour les jeunes saisonniers »
« Des saisonnières à l’année. » C’est ainsi que les trois amies trentenaires, réunies dans un bar de Guillestre, se qualifient : « On habite à l’année dans le Guillestrois et on a des employeurs plutôt fidèles d’une année à l’autre », définit “Crozi”*. Elle travaille comme pisteuse l’hiver et à la maintenance de remontées mécaniques l’été. Face à elle, Annabelle Thome est employée aux caisses dans une des stations de ski du Guillestrois et régisseuse ; à ses côtés, la cheffe de cuisine à Mont-Dauphin, Laurie Rodriguez.
Comme beaucoup d’autres lors des intersaisons, toutes trois sont au chômage. De quoi s’inquiéter d’un changement de conditions d’affiliation ? Pas encore. « Je suis une saisonnière chanceuse, dit Crozi, j’arrive à avoir un CDD de 4 mois et demi l’été et de 4 mois et demi l’hiver. » Soit un nombre de mois travaillés suffisant. Une situation que l’employée de station de ski a mis 13 ans à construire.
« Nous, nous sommes installées depuis un bon moment, explique Laurie Rodriguez, nos emplois sont quasi assurés à chaque saison. Mais cette nouvelle réforme est davantage préoccupante pour les jeunes, qui enchaînent davantage des petits contrats : il y a un risque qu’ils ne puissent pas cotiser assez. » Ce qui pourrait décourager une nouvelle génération de s’installer dans ce mode de travail.
« J’arrive tout juste à huit mois travaillés »
Si pour le trio le nombre de mois travaillés n’est pas encore un problème, cela pourrait aussi évoluer avec le changement climatique. « Les hivers ne vont peut-être plus être aussi longs qu’auparavant, pointe Annabelle Thome. Déjà dans le Queyras, la saison dure difficilement plus de trois mois. Et, si l’enneigement devient de plus en plus irrégulier, il y aura aussi peut-être davantage de périodes chômées.»
« La solution à l’avenir pourrait être d’allonger les saisons d’hiver et d’été en répartissant davantage les périodes de vacances. » Bérangère* jongle entre un boulot en station l’hiver et un poste en office de tourisme à la période estivale. « J’arrive tout juste à huit mois », indique-t-elle par téléphone. Pour le moment, la nouvelle disposition prévue pour le 1er juillet ne l’impacterait pas. « Ce qui m’impacte cependant, en tant que saisonnière résidant à l’année à Guillestre, ce sont les changements de calcul d’indemnités. » De nouvelles règles mises en place en 2021.
« Par exemple, le mois dernier j’ai touché 1 100 euros et ce mois-ci c’est 850, explique la saisonnière. C’est avec cette baisse des indemnités que les saisonniers à l’année deviennent plus précaires : si l’on a un prêt où un loyer, certains mois peuvent devenir difficiles. » Pour Annabelle Thome, cette baisse se traduit par environ 200 euros en moins par mois. Une « précarisation de l’intersaison » augmentée par l’inflation : « Car on ne peut plus économiser autant qu’avant en prévision des intersaisons. »
Le saisonnier partant « à l’autre bout du monde » est devenu un « mythe »
Pour Crozi, l’image du saisonnier partant en vacances « à l’autre bout du monde » une fois venu la saison morne relève aujourd’hui du « mythe ». « Et, de toute manière, il faut bien que l’on parte aussi un peu en vacances, sourit-elle, car on ne prend pas de congés lors des saisons. » Et d’ajouter : « Il y a aussi énormément de personnes qui sont dans l’associatif à ces périodes, qui ont des familles et participent à l’économie du territoire et de sa vie collective. »
Les saisonniers à l’année devront-ils chercher dorénavant du travail au printemps et à l’automne ? « Certains l’envisagent, mais ce sont souvent des boulots qui n’ont rien à voir avec nos qualifications et pas très bien payés. Et encore faut-il en trouver », souligne Crozi. Bérangère abonde : « La demande est plutôt dans le secteur du bois et du BTP et donc plus fermé aux femmes. »
Toutes quatre espèrent plutôt une reconnaissance du statut de saisonnières. « Le schéma actuel de l’assurance chômage n’est pas adapté », constate Laurie Rodriguez. « Et c’est d’autant plus incompréhensible que le travail saisonnier représente deux millions et plus d’emplois en France, poursuit Annabelle Thome. On ne peut pas mettre dans le même panier tous les chômeurs lorsque l’on fait une réforme : la réalité de l’emploi ici, tourné vers le tourisme, n’est pas la même que dans les grandes villes. »
* “Crozi” et Bérangère, ne souhaitent pas témoigner sous leurs noms.
Éric Becker (FO) : « J’ose espérer que le prochain gouvernement fasse marche arrière »
Malgré les incertitudes politiques nationales du moment, Eric Becker, référent national saisonnier de Force ouvrière (FO), partage ses inquiétudes quant à la réforme de l’assurance chômage. « J’ose espérer que le prochain gouvernement fasse marche arrière et qu’il revienne sur la réforme du chômage, escompte-t-il. Pour l’instant on est dans le flou le plus total mais, ce qui est sûr, c’est que selon la décision du nouveau gouvernement, nous allons nous révolter et nous allons mettre en place des actions. »
Eric Becker estime les changements induits par cette nouvelle réforme comme injuste pour les saisonniers. « On va toujours taper sur ceux qui, pourtant, ont besoin de l’allocation-chômage. Et, cette réforme pour moi, vise à faire toucher le fond aux saisonniers. » Et il l’assure : « Si les nouvelles modalités ne leur conviennent pas, les gens seront prêts à se mobiliser. »
ÇA COINCE AUSSI DU CÔTÉ DES EMPLOYEURS
Du côté des recruteurs, ceux qui embauchent les saisonniers sont aussi profondément impactés par la réforme de l’assurance chômage. Selon eux, celle-ci pourrait avoir un effet repoussoir sur l’exercice de certains métiers.
« La réforme fait du recrutement des saisonniers quelque chose de plus complexe qu’il ne devrait l’être », estime Gaëlle Brochard, directrice du Camping de la Palatrière, au Sauze-du-Lac, au bord du lac de Serre-Ponçon. Selon elle, la disparition des saisonniers va avec le fait qu’ils n’ont plus l’assurance de toucher des indemnités après un contrat de courte durée. « Cette réforme nous oblige à faire des contrats de huit mois pour nos salariés mais on ne peut pas se le permettre financièrement. Six mois, c’était déjà le maximum. On ne peut pas payer les salariés alors que l’on ferme ! » s’indigne Gaëlle Brochard.
« Saisonnier n’est plus un métier »
Cette réforme de l’assurance chômage alarme « tout le secteur de la restauration et de l’hôtellerie », selon Marc Gueydon, président de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie des Hautes-Alpes (Umih 05). « Il y a un appauvrissement du métier qui devient volatil. Certes, le secteur connaît un manque de saisonniers, mais surtout un manque de main-d’œuvre qualifiée, explique-t-il. Avant, nous avions des professionnels des saisons, maintenant nous sommes obligés de former de nouvelles personnes tous les quatre matins – ce qui est épuisant – car saisonnier n’est plus un métier : c’est devenu un petit boulot. »
Les décisions centralisées à Paris
Pour le président de l’Umih 05, le cœur du problème est la « centralisation » des décisions pour les réformes du secteur de l’hôtellerie et de la restauration. « Toutes les décisions sont prises à Paris. Alors, nous y sommes allés et nous avons eu notre mot à dire, mais ils ne nous ont pas écoutés, peste Marc Gueydon. Les enjeux de l’hôtellerie de campagne, de montagne et de littoral ne sont absolument pas les mêmes que ceux des grandes villes. »
Même constat pour Gaëlle Brochard :
« Il y a une méconnaissance de la vie du terrain »
de la part des décisionnaires.
« Qu’ils viennent faire une saison, propose-t-elle. Personnellement, il m’a fallu l’hiver pour m’en remettre ! »
Article Dauphiné libéré du 27 juin 2024

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