Par deux arrêts d’Assemblée plénière du 22 décembre
(Cass. Ass plén., 22-12-23, n°20-20648 et n°21-11330),
la Cour de cassation admet désormais que dans un litige, une partie puisse utiliser, sous certaines conditions, une preuve obtenue de manière déloyale pour faire valoir ses droits.
Avant d’étudier plus en détail les arrêts en question, un bref rappel des règles qui gouvernent le droit à la preuve s’impose.
En matière civile, la preuve apportée par une partie au succès de sa prétention était, jusqu’à ces arrêts, soumise à l’exigence de loyauté.
En effet, par un arrêt d’Assemblée plénière du 7 janvier 2011
(Cass. Ass plén., 7-1-11, n°09-14667)
la Haute juridiction ordonnait d’écarter des débats, des éléments de preuve obtenus de manière clandestine, à l’insu des intéressés, car obtenus de manière déloyale.
En droit du travail, cette exigence de loyauté commandait, par exemple, que l’enregistrement clandestin, d’une conversation téléphonique privée, sans que l’auteur des propos n’ait été informé de cet enregistrement, soit déclaré déloyal et par conséquent irrecevable
(Cass. soc., 23-5-07, n°06-43209).
En revanche, l’utilisation de messages écrits laisse supposer que l’auteur des propos a connaissance que ceux-ci peuvent être enregistrés. La preuve n’est dès lors pas obtenue de manière déloyale, elle est recevable (même arrêt).
La loyauté était une garantie contre l’utilisation par une partie, de stratagème ou d’artifice dans la manifestation de la vérité.
La jurisprudence de la Cour de cassation s’accordait, toutefois, difficilement avec celle de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), beaucoup plus permissive.
La CEDH estime depuis de nombreuses années qu’une preuve, fut-ce-t-elle illégale, ne doit pas être écartée de manière catégorique.
Il convient, selon elle, de s’assurer que cette preuve ne soit pas la seule versée aux débats, et que d’autres éléments viennent corroborer cette preuve
(CEDH, 12-7-88, Schenk c/Suisse, n°10862/84).
En 2019, la CEDH réitère sa position et affirme que des éléments de preuve, même illicites, peuvent être admis, dès lors que la procédure dans son ensemble, conserve un caractère équitable
(CEDH, 17-10-19, Lopez Ribalda c/Espagne, n°1874/13 et 8567/13).
La CEDH opère une balance des intérêts en présence, et invite les juridictions nationales à en faire de même.
La Cour avait déjà commencé à suivre la voie de la CEDH, en admettant que la production d’un élément de preuve illicite n’entraîne pas nécessairement son rejet (arrêt AFP, Cass. soc., 25-11-20, n°17-19523)
dès lors que cette production est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi. Mais elle n’avait pas encore jugé de la sorte lorsque l’élément de preuve n’était non pas illicite, mais obtenu de manière déloyale.
Désormais, la Cour étend sa solution à cette dernière hypothèse.
Dans le premier arrêt (n°20-20648),
les faits étaient les suivants :
un salarié a saisi la justice afin de contester son licenciement pour faute grave. Pour apporter la preuve de cette faute, l’employeur a soumis au juge l’enregistrement sonore d’un entretien au cours duquel le salarié a tenu des propos ayant conduit à sa mise à pied. Cet enregistrement avait été réalisé à l’insu de l’employé. La cour d’appel a déclaré cette preuve irrecevable, car l’enregistrement avait été réalisé de façon clandestine.
Aucune autre preuve ne permettant de démontrer la faute commise par le salarié, la cour d’appel a jugé que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse.
L’employeur a donc formé un pourvoi en cassation.
Dans la seconde affaire (n°21-11330),
un salarié ayant pris des congés est remplacé par un intérimaire. Ce dernier a utilisé le poste informatique du salarié absent. Le compte Facebook du salarié absent était resté ouvert sur cet ordinateur, laissant l’intérimaire prendre connaissance d’une conversation par messagerie Facebook qui y avait été tenue à son sujet. Dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. L’intérimaire a transmis cette conversation à l’employeur.
Le salarié ayant tenu ces propos via Facebook a été licencié pour faute grave, puis il a contesté ce licenciement en justice.
Selon lui, le juge ne pouvait tenir compte de ses conversations par messagerie Facebook car leur utilisation remettait en cause le principe de loyauté de la preuve et portait atteinte au respect de sa vie privée.
La cour d’appel a écarté des débats cette conversation par messagerie Facebook.
Aucune autre preuve ne permettant de démontrer la faute commise par le salarié, la cour d’appel a jugé que ce licenciement était sans cause réelle et sérieuse. L’employeur a formé un pourvoi en cassation.
La question posée à la Cour de cassation dans les deux affaires était la suivante : une preuve obtenue de manière déloyale peut-elle, sous certaines conditions, être soumise au juge ?
La Cour répond à cette question par l’affirmative.
Elle affirme que désormais, des moyens de preuve déloyaux peuvent être présentés au juge, à qui il appartiendra de peser les intérêts en présence. Ces moyens ne pourront toutefois être admis qu’à la condition d’être indispensables à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte aux droits de l’autre partie, soit strictement proportionnée au but poursuivi. Ce qui n’était pas le cas dans le deuxième arrêt pour lequel l’atteinte à la vie privée a en quelque sorte « protégé » le salarié.
Il conviendra d’être vigilant dans les futures affaires sur ce qu’entend la Haute juridiction par une atteinte strictement proportionnée.
Secrétaire confédérale au Secteur de l’Organisation,
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